En tant que reconstituteurs historiques mais aussi en tant que passionnés d’Histoire, nous nous sommes demandés ce que pouvaient boire les Écossais au XVIIIe siècle… Quels étaient leurs breuvages favoris et à quel type de boisson avaient-ils accès ? Quelles étaient les boissons typiquement consommées et pourquoi ?

Nous avons tenté, dans cet article, d’apporter des éléments de réponse sur ces questions et de dresser une liste bien évidemment non exhaustive des boissons en Écosse au XVIIIe siècle. Attention, veuillez bien noter que c’est avec modération qu’il faut consommer tous ces liquides…

Le whisky

Le mot anglais whisky vient du mot uisge en gaélique écossais ou de uisce en gaélique irlandais. Le terme signifie simplement « eau » dans les deux langues ; c’est uisge beatha en gaélique écossais et uisce beatha en irlandais qui signifient « eau de vie » et donc « whisky » en anglais.

Les premières productions de uisge beatha semblent remonter au XVème siècle, dans des monastères. Le uisge beatha était au moins autant utilisé à des fins thérapeutiques que pour la consommation directe sous forme d’alcool.

Un traité entre l’Écosse et l’Angleterre signé en 1707 stipulait que les taxes sur les alcools devaient être les mêmes des deux cotés de la frontière. Une taxe sur le malt fut également introduite en Écosse en 1713. Cette taxe pré-existait en Angleterre, mais ne faisait pas partie du traité signé entre les deux nations. L’introduction de cette taxe en Écosse fut à l’origine de violentes manifestations.

Au titre de la lutte contre l’alcool qui faisait des ravages à l’époque, l’Angleterre décida de taxer fortement le gin produit sur ses territoires, ainsi que le genièvre hollandais. Le « Gin Act » datant de 1736 ne faisait aucune référence au uisge beatha écossais.
L’effet fut immédiat, et le résultat fut une énorme progression de la production de uisge beatha en Écosse, passant d’environ 500.000 litres en 1708 à 1.250.000 litres en 1736. Cependant, il ressort des documents de l’époque que la plus grande partie de la production était consommée sur place…

C’est à cette époque que le terme gaélique uisge beatha pour désigner l’eau-de-vie allait se corrompre et donner naissance au terme uisky ou whisky.

Comment boire du whisky à la traditionnelle ?

Le whisky se boit traditionnellement dans un quaich (prononcer couaire), qui vient du gaélique écossais cuach signifiant gobelet. C’est une sorte de coupelle en bois et / ou en métal comportant 2 voire 3 oreilles.

Un whisky se partage selon une méthode bien précise. On porte un toast, puis une petite quantité de liquide est versée au sol afin d’honorer la mémoire des ancêtres et qu’ils puissent, eux aussi, profiter de l’eau de vie. Enfin, le quaich passe entre les mains de tous les convives, chacun buvant une gorgée.

La Pale Ale - la bière ambrée

Le coke (un type de charbon) est utilisé dès 1642 pour griller à sec le malt. Ce n’est toutefois que vers 1703 que le terme de pale ale, bière ambrée, est donné aux bières fabriquées à partir de ce procédé.

La pale ale utilise moins de houblon que la bière blonde ce qui, au XVIIIe siècle est un problème financier en Grande Bretagne. En effet, la guerre avec la France entraîne une importante hausse des taxes sur le malt. Cela fera chuter la consommation de bière, ambrée ou non.

Leann Fraoch - la bière de bruyère

La légende veut que la véritable recette picte de la bière de bruyère (Leann Fraoch en gaélique) ait été perdue avant même que l’Écosse ne soit fondée… En réalité, la bière de bruyère aurait été consommée en Écosse depuis 2 000 avant notre ère. On en retrouve des écrits la mentionnant sur l’île d’Islay au XVIIIe siècle. La recette est même dévoilée : « à partir de pousses de jeunes bruyères mélangées avec un tiers de malt et un peu de houblon ».

Il existe encore aujourd’hui une brasserie en Écosse qui produit cette bière selon la recette millénaire. Ainsi, l’entreprise Williams Bros. Brewing Co, basée à Alloa, près de Stirling, brasse la Fraoch depuis 1988 ainsi que quelques autres bières historiques écossaises comme de la bière à l’épinette et au pin, au sureau ou encore à la groseille. Toutes ces recettes sont si anciennes qu’il est difficile de les dater mais nul doute que ce type de breuvage était consommé au XVIIIe siècle.

L' Atholl brose - la boisson des géants

L’Atholl brose est un mélange de whisky, de miel et… d’avoine !

Il date d’au moins 1745 mais pourrait être bien plus ancien que cela. Il est dit que ce subtil mélange a permis d’attraper Iain MacDonald, seigneur des îles, au XIVe siècle. La boisson aurait été placée dans l’un de ses puits préférés. L’eau de source, ainsi grandement améliorée, lui plut tellement qu’il en abusa. MacDonald chanta tellement fort qu’il devint alors très facile à repérer. Le comte d’Atholl put alors capturer son ennemi…

Ce breuvage a aussi été appelé boisson des géants et était servi de manière tout à fait cérémonielle dans le nord des Hébrides lors des fêtes d’Hogmanay (l’équivalent celte du nouvel an).

Recette

  • 7 doses de lait d’avoine
  • 7 doses de whisky
  • 5 doses de crème
  • 1 dose de miel

Le lait d’avoine est préparé en laissant macérer une nuit un volume d’avoine avec 3 volumes d’eau froide. Le tout est ensuite filtré pour éliminer la fibre d’avoine.

Metheglin et Meadh - l'hydromel avec ou sans épices

L’origine de l’hydromel (meadh en gaélique) est tellement ancienne qu’on ne peut la dater… Toutefois, on sait qu’au XVIIIe siècle, cette boisson est encore beaucoup consommée et nombre de livres de recettes de cuisine donnent leur propre version de la confection d’un hydromel plus ou moins puissant. La recette de base reste constante : un mélange d’eau et de miel que l’on fait fermenter.

Le metheglin est une variante très répandue. C’est tout simplement de l’hydromel aux épices. On trouve énormément de références  au metheglin dans les livres de recettes du XVIIIe siècle. Les épices les plus couramment utilisées sont le gingembre, la cannelle, la cardamome mais aussi le romarin, la graine de fenouil, entre autres. Les recettes de metheglin sont très nombreuses et les variantes sont infinies…

Il  est très probable que l’hydromel et le metheglin écossais se fabriquaient à base de miel de bruyère.

Recette du Metheglin

Traduction de la recette issue du livre « The Cooks and Confectioners Dictionary; Or, The Accomplish’d Housewifes Companion » de John Nott – première édition : 1723

Préparer :

  • 6 gallons d’eau (22,7 litres)
  • de la sauge, du thym, de la sariette et des feuilles de romarin, une poignée de chaque
  • du poivre de Jamaïque broyé, une once et demi (42,5g)
  • des graines de carvi broyées et des graines de coriandre broyées, une once de chaque (28g)
  • de la cannelle, de la cannelle d’hiver, de la noix de muscade, des clous de girofle, du macis broyé, une demi once (14g) de chaque

Mettre les épices dans un linge puis dans l’eau et faire mijoter pendant 3 heures sans faire bouillir.
Ajouter tant de miel qu’un œuf pourrait flotter à la surface puis donner un bouillon ou deux. Faire refroidir et avant que ça ne soit complètement refroidi rajouter un quart de pinte (environ 15cl) de levure de bière et laisser travailler jusqu’à ce que la levure ne commence à tomber. Enlever le sac d’épices et mettre le liquide dans votre tonneau. Ne pas fermer le tonneau avant que la levure n’ait fini de pousser et le remplir quotidiennement avec la même liqueur et rajouter de la cannelle d’hiver, de la noix de muscade, des clous de girofle et du macis broyé pour une once (28g) de chaque.
Fermer le tonneau jusqu’à ce que le liquide soit bon puis embouteiller.

Le gin - la boisson du pauvre

L’origine du gin est médiévale mais c’est au XVIe et XVIIe siècle que le nom de genever apparaît dans les anciens Pays-Bas (Pays-Bas actuel et partie de la Belgique actuelle). On attribue souvent, et faussement, son invention au médecin Franciscus Sylvius. Les historiens de l’alimentation et de la boisson considèrent que la distillation du genever par les Hollandais (qui revendaient de l’alcool pur ou du mauvais vin portugais coupé à l’alcool pur de genièvre aux Anglais) constitue la genèse de l’ère des alcools forts, les « eaux de vie » en Europe. Le genever s’est répandu en Grande Bretagne après que la Glorieuse Révolution de 1688 ait installé Guillaume III d’Orange-Nassau, venant des Pays Bas, sur les trônes d’Angleterre et d’Écosse. Les distilleries produisent alors un alcool proche du genever qui est baptisé gin.

L’essor du gin fut rapidement très important en Grande Bretagne. Contrairement à d’autres alcools, il n’y avait pas besoin d’autorisation pour produire cette boisson. De plus, les taxes très lourdes sur l’importation de spiritueux et le malt ont clairement avantagé le gin sur le marché au détriment, notamment, de la bière mais aussi de la qualité du produit. Nombre de distilleries bas de gamme ont en effet ouvert au début du XVIIIe siècle, faisant alors du gin un alcool à bas coût très prisé par les populations pauvres.

Cette situation mena la population a un alcoolisme de masse, forçant même le gouvernement de Grande Bretagne a promulguer des lois pour tenter d’endiguer l’essor de la consommation du gin. Ainsi, le Gin Act de 1736 leva de fortes taxes spécifiques au gin. Cette loi fût très mal acceuillie et mena même à des révoltes, notamment à Londres. La production de gin frelaté se développera fortement dans les couches pauvres de la société britannique et, finalement, la loi dût être révoquée par un autre Gin Act, plus souple, en 1743.

Le vin de porto

Le vin est produit dans la vallée du Douro depuis l’Antiquité mais ce n’est qu’au XVIIe siècle qu’apparaît l’appellation « vin de Porto ».

Il connut à cette époque un grand succès en Angleterre. À la suite d’un embargo proclamé par le premier ministre de Louis XIV, Colbert, envers le roi d’Angleterre, les Anglais se trouvent privés de leur vin favori qu’est le clairet de Bordeaux, et découvrent au Portugal des vins de qualité similaire. Avec le traité de Methuen (en 1703), traité de coopération militaire, diplomatique et économique, ils obtiennent le privilège de fonder au Portugal des maisons de négoce en échange de la baisse des taxes sur le vin de Porto.

Le vin portugais reste cher et en concurrence avec les vins français. De plus, il supporte mal le voyage même si l’on avait l’habitude d’ajouter de l’eau-de-vie au vin pour qu’il supporte mieux le transport. C’est alors qu’un marchand anglais, Jean Beardsley, a l’idée d’en augmenter le degré en ajoutant de l’eau-de-vie de vin pure. C’est la naissance du produit sous sa forme actuelle, très vite apprécié en Europe et tout particulièrement en Écosse.

Verre jacobite - 1720-1750 - ref. H.MEN 92 - National Museum of Scotland

Le vin, même sans raisins

Le climat de l’Écosse et plus généralement de Grande Bretagne n’est pas favorable à la vigne. C’est pour cette raison que les Écossais ont très longtemps importé leur vin, notamment le vin français. Néanmoins, le vin importé est un produit pouvant s’avérer coûteux et beaucoup de ménages se sont donc mis à fabriquer eux même leur vin, avec les plantes poussant localement. Il y a ainsi tout un florilège de vins à base de plantes qui ont été produits depuis très longtemps en Écosse…

Certains de ces breuvages étaient très consommés et les recettes ont donc été consignées… C’est le cas, par exemple, du damson wine, ou vin de quetsche. Dans les Highlands, c’est le birch tree wine, le vin de bouleau, qui était beaucoup fabriqué. La certitude est qu’il existait une multitude de recettes de vins à base de fruits ou de plantes dans l’Écosse du XVIIIe siècle.

Recette du damson wine

Traduction de la recette issue du livre « The Cooks and Confectioners Dictionary; Or, The Accomplish’d Housewifes Companion » de John Nott – première édition : Londres, 1723

Tous les 5 quarts (5,6Kg) de quetsche, mettre deux gallons (9 litres) d’eau et y ajouter 5 livres (2,25Kg) de sucre. Dénoyauter vos quetsches, les bouillir jusqu’à ce que le liquide ait une belle couleur puis les filtrer sur un tamis. Les mettre dans un contenant ouvert pendant trois à quatre jours puis enlever la lie et laisser travailler dans le contenant tant que ça le veut. Fermer et laisser reposer pendant au moins 6 mois. Embouteiller et laisser reposer un an ou deux avant de le boire.

Recette du birch tree wine

Recette issue du livre « The Accomplished Housekeeper, and Universal Cook » par T. Williams – première édition : Londres, 1717

La sève du bouleau est récoltée en mars, quand la sève monte et avant que les feuilles ne poussent.

Bouillir la sève jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’écume. Pour chaque gallon (4,5l) de liqueur, ajouter 4 livres (1,8Kg) de sucre et le zeste d’un citron. Faire bouillir pendant une demi heure en écrémant en permanence. Verser dans une cuve propre. Quand le mélange est presque froid, verser de la levure. Laisser poser pendant 5 ou 6 jours en remuant régulièrement.

Prendre un tonneau assez grand pour contenir toute la liqueur. Enflammer une grosse allumette, la jeter dans le tonneau et fermer jusqu’à ce que l’allumette s’éteigne. Mettre le vin en tonneau et fermer doucement la bonde. Attendre 3 mois puis embouteiller avant de boire.

Évolution de la forme des bouteilles de vin
Évolution de la forme des bouteilles de vin

le Whipkull

Le whipkull a été décrit comme le couronnement du petit déjeuner de Yule (l’équivalent celte de Noël) servis par les seigneurs des îles Shetland. Il remonterait au moins du temps où les vikings possédaient ces îles, c’est à dire entre le IXe et le XIVe siècle.

Recette du whipkull

  • 12 jaunes d’œufs
  • 500g de sucre en poudre
  • 25cl de rhum (pour le XVIIIe siècle)
  • 12cl de crème fraîche

Battre les jaunes d’œufs avec le sucre jusqu’à ce que le mélange blanchisse. Rajouter la crème puis le rhum. Mélanger, boire, chanter.

Le whipkull est traditionnellement servi avec des shortbreads.

The Hot Toddy - le grog à l'écossaise

Les toddies sont généralement consommés pour se relaxer ou en prévention d’une météo difficile. Ils ont aussi la réputation d’être d’excellents remèdes contre le rhume et la grippe. Ils sont l’équivalent écossais du grog.

Les toddies se composent tous d’une base commune : un alcool fort (cognac, rhum ou whisky), un liquide chaud (eau, café ou thé), un élément sucrant (miel, sucre ou sirop) et parfois des épices (le plus souvent de la cannelle et / ou des clous de girofle) et des agrumes (orange ou citron)

L’origine du nom Toddy est controversée. L’une des versions est que le nom proviendrait du nom d’un puits, Todian Spring, ou Tod’s well (le puits de Tod) qui a, pendant un temps, fourni en eau la ville d’Édimbourg.

Toujours est-il que bien qu’essentiellement bue en hiver, cette recette de grog est très répandue en Écosse.

le hot toddy ou le grog à l'écossaise
hot-toddy

Recette

  • 4cl de whisky
  • 1 cuillère à soupe de miel
  • 100ml à 200ml d’eau bouillante
  • 2 ou 3 clous de girofle
  • 1 citron
  • 1 bâton de cannelle (optionnel)
  • de l’anis étoilé (optionnel)

Le drambuie - la boisson préférée du prince

Le drambuie est un cocktail à base de whisky. Il date du XVIIIe siècle et fût, selon la légende, la boisson préférée de Charles Édouard Stuart, dit Bonnie Prince Charlie.

Après le désastre de la bataille de Culloden, Bonnie prince Charlie prit la fuite à travers les Highlands. Le Capitaine Malcolm MacLeod emmena le prince à Elgol, un petit village au sud de l’île de Skye où vivait sa sœur. Elle était mariée au Capitaine John MacKinnon. Le clan MacKinnon soutenait notoirement la cause jacobite et John MacKinnon fit passer le prince vers le village de Mallaig où ils manquèrent de peu de se faire capturer. Afin de le remercier, le prince confia à John MacKinnon la recette de sa liqueur préférée… John fut ensuite capturé et emprisonné à Londres pendant deux ans. Il revint sur Skye mais le clan avait été dépossédé de ses terres…

La recette fut conservée pendant longtemps par les membres de la famille MacKinnon et la boisson devint connue sur l’île de Skye comme « dram buidhe« , la boisson jaune, ou « an dram buidheach« , la boisson qui fait plaisir…

Recette du drambuie

  • 30cl de whisky (de préférence un single malt de Skye)
  • 10cl de miel (de préférence de bruyère)
  • 20cl d’eau
  • 1 cuiller à café de graines de fenouil
  • 1 cuiller à soupe de feuilles fraîches de romarin

La recette originale a été gardée secrète très longtemps par le clan MacKinnon puis, à la fin du XIXe siècle, la marque drambuie a été enregistrée par le fils du propriétaire d’un hotel de l’île de Skye à qui l’on avait confié la recette. La composition exacte du drambuie est donc secrète mais il est raisonnable de penser que le prince utilisait du miel de bruyère, très courant en Écosse ainsi qu’un single malt de bonne qualité. Voilà une proposition de recette qui semble être juste, tout du moins sur le plan historique et gustatif…

Broyer les graines de fenouil au mortier et les mélanger à l’eau, au miel et au romarin. Faire cuire à feu moyen en remuant fréquemment pendant environ 5 minutes.

Laisser refroidir et éliminer, si besoin, toute mousse blanche se formant à la surface.

Verser ce liquide dans une bouteille. Ajouter le whisky, bien fermer hermétiquement la bouteille et secouer pour mélanger.

Laisser reposer pendant au moins 3 jours puis filtrer.

Votre drambuie maison est prêt !

Et pour finir, trinquons ensemble, de manière traditionnelle, bien sûr.

Sláinte Mhath!

Sources