La cornemuse écossaise

A l’instar du kilt moderne ou encore du whisky, la cornemuse écossaise (grande cornemuse des Highlands, « Great Highland Bagpipe ») est devenue l’un des symboles de l’Ecosse. Si les clichés concernant cet instrument ont la vie dure, il n’en demeure pas moins qu’elle fut caractéristique d’une société et de sa culture. Quelle est l’origine de cet instrument emblématique ? Quelle importance lui donnait-on ?

Dans une série de trois articles, nous tenterons de présenter l’histoire de la cornemuse écossaise au sein des peuples gaéliques. Nous reviendrons également sur le statut du sonneur et l’intérêt de son instrument dans la vie d’un clan écossais au XVIIIème siècle. Enfin, nous nous focaliserons sur la musique classique de cet instrument, le piobaireachd (Ceol Mor).

Quelques éléments de classification

Une grande partie de la population actuelle distingue sans peine la cornemuse écossaise de ses consoeurs mais quelques éléments de vocabulaire doivent être rappelés.

En général, une cornemuse est composée des pièces suivantes

  • Un porte-vent (syn. bouffoir, trad. : blow-pipe) : élément dans lequel souffle le sonneur pour alimenter la poche en air.
  • Un chalumeau (syn. Hautbois, trad. : chanter) : élément sur lequel est joué la mélodie et alimenté par la poche ou la bouche.
  • Un ou plusieurs bourdons (basse, médium, ténor) : élément donnant une note tenue alimenté par la poche ou la bouche.
  • Une poche : réservoir d’air sur lequel le sonneur appuie afin de maintenir un son continu au niveau du chalumeau et des bourdons.

Plutôt que de parler d’un instrument, les spécialistes actuels préfèrent évoquer une famille d’instruments quand on leur parle de cornemuses. Ainsi, on opère une classification grâce au chalumeau, on en distingue deux types :

Perce conique : l’extérieur est évasé alors que l’intérieur est percé en forme de cône long et étroit s’ouvrant du haut vers le bas. Le chalumeau conique produit un son puissant et nasal, c’est le cas de la cornemuse écossaise actuelle. Fabriqué en bois, il est habituellement équipé d’une anche double. Il s’est répandu en particulier dans l’Europe de l’Ouest.

Perce cylindrique : de forme cylindrique aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur, il peut être de bois ou bien fabriqué à partir d’os ou de roseau. Une corne ou bien une extension y ressemblant est bien souvent fixée à son extrémité. Il est généralement équipé d’une anche simple battante. Pouvant sembler primitif, il délivre un son plus doux et plus grave qu’un chalumeau de perce conique. Son aire de répartition est l’Europe de l’Est.

Par leur grande diversité, les cornemuses offrent une importante variété de sons, pour l’oreille néophyte comme l’avertie.

Les origines de la cornemuse

Contrairement à ce que l’on pense, la cornemuse n’est pas « celte » (terme générique nous en convenons). Elle se serait développée dans l’Antiquité autour du bassin méditerranéen avant d’être possiblement exportée par les légions romaines.

Si les traces archéologiques sont rares, certaines sources littéraires nous sont parvenues montrant une évolution technologique certaine sur l’instrument.

L’Antiquité nous a laissé peu de preuves mais Suétone dans sa « Vie des douze Césars » évoque cet instrument joué par Néron :

« Sur la fin de sa vie, il avait fait le voeu solennel, s’il triomphait de ses ennemis, de jouer de l’orgue hydraulique, de la flûte et de la cornemuse, pendant les jeux qu’on célébrerait pour sa victoire ; de se faire histrion le dernier jour de ces fêtes, et de danser le Turnus de Virgile. »

Quelques céramiques grecques montrant des joueurs d’Aulos nous sont également parvenues et les spécialistes s’accordent aujourd’hui pour affirmer que cette première famille d’instruments s’est déployée autour du bassin méditerranéen, les musiciens utilisant alors la technique de la respiration circulaire.

Instrument populaire, c’est à partir du XIème siècle que la cornemuse se développe sous sa forme actuelle (bourdon, poche et chalumeau). On en retrouve de nombreux exemples dans la littérature et la sculpture médiévale.

Dans un certain nombre de pays, la fin du Moyen Age vit le déclin de la cornemuse. Instrument d’extérieur par essence, elle s’adoucit progressivement pour être jouée en intérieur, dans les maisons comme dans les palais. Selon S. MacNeill :

« Les actuels joueurs de cornemuse d’Inde, de Russie, de Pologne, de République Tchèque, de Grèce, de Yougoslavie, d’Italie, d’Espagne, D’Irlande, de Grande-Bretagne et de France sont les héritiers et les détenteurs d’un patrimoine musical qui s’est transmis oralement, sans interruption, de génération en génération, depuis le Moyen-Age ».

Preuve s’il en est de l’importance de cet instrument pour le bassin indo-européen.

La cornemuse en Écosse et en Irlande

Dans les îles britanniques, les premières preuves de l’existence de cornemuse se rapportent à l’Angleterre : une énigme anglo-saxonne du XIème siècle dont la réponse semble être une cornemuse et une pierre tombale du Northumberland datée du XIIIème siècle. Au XIVème siècle : des documents historiques prouvent le paiement de sonneurs jouant à la cour du roi. Le terme « bagpipe » étant même mentionné dans les contes de Canterbury, de Chauver (1386).

Le plus ancien fragment découvert à ce jour sont également anglais et ont été retrouvée au château de Weoley, dans le comté de Warwick. Il daterait vraisemblablement de la fin du XIVème ou du début du XVème siècle.

En Ecosse, la première mention d’une cornemuse apparaît dans une pièce écrite par le roi Jacques Ier et dans un registre de paiement aux musiciens de la cour au début du XVIème siècle : « the Inglis pyper with the drone » (le terme « drone étant occasionnellement usité pour définir la cornemuse à cette époque).

Dans les régions gaéliques, les évidences sont encore plus tardives : pour les hautes terres d’Ecosse, on note une référence en 1549 ; pour l’Irlande dans la littérature de la fin des Tudor.

Doit-on pour autant en conclure que la cornemuse n’existait pas en Ecosse avant cette date ?
Rien n’est moins sûr !

Certes, aucun document historique n’indique une antériorité. Toutefois, une hypothèse intéressante de Sean Donnelly (1981) suggérerait que la cornemuse aurait existé quelques temps avant d’être remarquée par les bardes : ces poètes gaéliques auraient pu continuer pendant un certain temps à donner d’anciens noms aux nouveaux instruments. Ainsi, le gaélique « cuisle », littéralement « flûte », pourrait se référer à la cornemuse.

Il est pourtant clair qu’au moment des premières références historiques, la cornemuse avait déjà été adoptée par les Gaëls écossais et irlandais à des fins bien différentes de partout ailleurs.

De la place du village au champ de bataille

En Europe, le sonneur revêt traditionnellement plusieurs rôles. Il est le musicien d’un village ou d’une ville : une personnalité locale animant les foires et les mariages, presque mendiant, souvent saoûl et libre de mœurs, de par sa réputation ou de fait (comme étaient considérés nos sonneurs bretons) ! Il peut aussi bien être berger, porcher ou chevrier, passant une grande partie de son temps en extérieur, utilisant sa cornemuse non seulement pour s’amuser, mais pour guider ses animaux. Ces musiciens restaient tout de même en marge des sociétés, en témoigne l’illustration suivante faisant faible cas de l’instrument et de son interprète.

Cependant dans l’Irlande et l’Ecosse gaéliques, la cornemuse était également utilisée sur le champ de bataille et pour rendre hommage aux morts.

En 1549, la bataille de Pinkie se déroule près d’Edimbourg. Beague, en 1556, raconte : « Pendant que les Français se préparaient au combat, les sauvages Ecossais s’encourageaient au son de leurs cornemuses ». En 1581, l’historien Georges Buchanan mentionne que « au lieu de trompette, ils utilisent la cornemuse ».

En Irlande, on rapporte des évènements semblables : des soldats irlandais marchant dans Londres en 1544 « avec des cornemuses devant eux », et en 1566, jouant de la cornemuse dans la bataille à la place des trompettes. L’utilisation de la cornemuse dans les razzias de bétail est mentionnée en 1561. L’exemple le plus frappant de tous : « avec cela aussi ils accompagnent leurs morts dans la tombe, faisant de tels sons douloureux qu’ils invitent les spectateurs à pleurer. »

Ainsi, la cornemuse était connue des Gaëls au milieu du XVIème siècle et faisait partie intégrante de leur mode de vie.

Selon Roderick D. Cannon, il est impossible de fixer une date avec certitude quant à l’apparition de la cornemuse dans les terres gaéliques, bien qu’il existe des indices « négatifs » : un poème narratif de Barbour décrit un raid écossais en Angleterre en 1327, mentionne des trompettes et des oliphants dans la bataille, mais pas de cornemuses ; au siège de Rouen en 1418, des soldats irlandais sont employés mais les Anglais ne mentionnent aucune cornemuse.

Scots wha hae : quand l’histoire rencontre le mythe ?

Depuis longtemps, il se murmure une légende dans les hautes terres d’Ecosse. Le chantre de l’esprit écossais, Robert Burns, aurait écrit sa chanson « Scots wha hae » en se basant sur un vieil air patriotique : « Hey Tuttie Tatie » (morceau supposé reprendre le son d’une trompette). Ce titre aurait été joué par l’armée de Robert Bruce à la bataille de Bannockburn (1314) et aurait été repris en 1718 par les Jacobites comme chant de rassemblement sous le nom « Fill up your bumpers high » (remplissez vos coupes à ras bord). En Avril 1429, on aurait entendu les troupes écossaises accompagnant Jeanne d’Arc lors de son entrée dans Orléans.

Un peu de musique, enfin, « Scots wha hae » interprété par The Pipes & Drums of Leanisch.

Sources

  • Roderick D. Cannon, The Highland Bagpipe and its music, second edition. Birlinn Editions, 2002.
  • Anthony Baines, The Wooden Pipe from Weoley Castle. The Galpin Society Journal, Vol. 26 (May, 1973), pp. 144-145.
  • www.bagpipehistory.info.com (consulté le 10 juin 2018).